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Sous la furie, le cycle

Avril 2018

Publié le
4 avril 2018
Temps de lecture
7 minute(s) de lecture

A l’issue de ce premier trimestre de 2018, beaucoup d’investisseurs semblent encore s’interroger sur le régime d’instabilité dans lequel sont rentrés les marchés. Invoquer l’imminence d’une « guerre commerciale » sino-américaine, ou allumer les feux de la révolte à l’égard de « la Tech », permet à une anxiété diffuse de se cristalliser avec fougue sur des coupables opportuns. Mais l’essentiel est ailleurs (voir notre note de mars « Une énigme de près de dix ans en voie de résolution »). La période d’instabilité qui vient de s’ouvrir est d’une nature nouvelle. Elle reflète non plus une menace de déflation ou de rechute économique, mais une grande confusion quant à l’effet ultime que produira le télescopage de politiques monétaires désormais plus restrictives et de politiques fiscales plus libérales, sur des économies et des actifs financiers dopés depuis des années par le soutien héroïque des Banques centrales.

Il nous semble utile d’abord de resituer le véritable poids des enjeux des tensions commerciales pour la croissance, et de confidentialité pour les groupes de technologie agrégateurs de données. Et dans un deuxième temps, rappeler ce qui nous semble représenter un scénario central crédible de sortie de cette période d’instabilité.

La drôle de guerre commerciale

Le véritable enjeu économique entre la Chine et les États-Unis réside dans la suprématie technologique à long terme

L’ambition du candidat, puis président, Donald Trump de mettre en œuvre une politique commerciale néomercantiliste est bien connue, et n’avait été que mise en veilleuse en 2017. Vouloir exploiter un rapport de force jugé favorable pour négocier avec ses partenaires commerciaux des termes de l’échange plus favorables rencontre d’ailleurs un soutien assez large de l’opinion publique aux États-Unis.

Cette ambition resurgit donc logiquement aujourd’hui dans la perspective des élections de mi-mandat de novembre 2018. Que Donald Trump aime négocier en mettant un pistolet sur la tempe de son interlocuteur n’est pas une découverte, non plus. Que la Chine ait des moyens de rétorsion puissants et variés, pas davantage. S’ouvre donc une période de postures, menaces et contre-menaces qui sont de nature à fragiliser la confiance des investisseurs, voire à poser la question de l’avenir même de la dynamique du libre-échange dans le cadre l’Organisation mondiale du commerce. Certes, des concessions pourraient être faites par la Chine, et probablement aussi par l’Union européenne (rappelons que les taxes à l’importation sur les automobiles américaines y sont de 10%, tandis que les automobiles européennes ne subissent que 2,5% de taxes à leur entrée aux États-Unis). Mais prétendre réduire de 100 milliards de dollars cette année le déficit commercial que les États-Unis entretiennent avec la Chine est aussi illusoire qu’absurde (l’intégration des chaînes d’approvisionnement globales rend ce sujet autrement plus complexe).

Dans le mode opératoire du président américain cependant, les démonstrations de force constituent principalement un outil de politique intérieure. C’est certainement pour ne pas l’avoir compris ou accepté que plusieurs spécialistes des relations extérieures ont récemment dû se résigner, en quittant l’État-major de Donald Trump, à mettre fin à une dissonance cognitive devenue insupportable. Le risque à court terme est principalement que le dynamisme de la consommation et des exportations américaines fasse les frais de cette bataille. On notera que le véritable enjeu est ailleurs : il réside dans la suprématie technologique à long terme. Et dans ce combat, l’administration Trump ferait bien de se soucier davantage de la faiblesse de l’investissement privé et public en recherche et développement, et du handicap durable que va produire l’introduction de freins multiples à l’entrée sur le sol américain des talents, dont scientifiques.

Facebook, Amazon, Google et les autres

Des moments « Occupy Silicon Valley » ne doivent pas surprendre

L’attaque qui vient d’être portée d’un tweet rageur par Donald Trump contre Amazon surfe pareillement sur l’air du temps, lui-même vivifié par le problème récurrent, quoique plus sévère cette fois, de confidentialité des données d’utilisateurs auquel est confronté Facebook. Ce dernier est certainement moins inquiet des risques juridiques (que les conditions d’utilisation acceptées aveuglément la plupart du temps couvrent largement), que des risques d’image. Le niveau d’engagement des utilisateurs de Facebook, professionnels comme particuliers, risque-t-il de baisser fortement suite à cette lourde bévue ? Peu probable, nous semble-t-il, tant il ressort de multiples sondages d’opinion que les utilisateurs des réseaux sociaux sont déjà sans beaucoup d’illusions sur la problématique de confidentialité inhérente au système qu’ils utilisent. Ils savent que l’ensemble des services accessibles via les réseaux sociaux ne sont « gratuits » qu’au sens où leur paiement s’effectue par la communication, elle-même gratuite, de ses données personnelles au propriétaire du réseau.

Il semble inéluctable que la réglementation à cet égard se renforce, à l’instar du nouveau règlement européen sur la protection des données (RGPD), qui entrera en application dès le mois de mai prochain. L’usage des données, la transparence, les contrôles devront certainement être l’objet d’un encadrement beaucoup plus robuste. Des moments « Occupy Silicon Valley » comme celui-ci ne doivent donc pas surprendre. Nombreux sont les concurrents, y compris d’ailleurs, parmi les medias traditionnels, que ces entreprises technologiques font terriblement souffrir, et qui ne manqueront aucune occasion de souffler sur les braises après toute flambée d’indignation. Des arguments d’ordre éthique seront souvent invoqués, parfois à juste raison, qui feront évoluer l’environnement réglementaire. Mais comment croire que ces ajustements remettent en cause fondamentalement ni la valeur d’usage de ces technologies pour leurs utilisateurs, ni la valeur d’information qualifiée pour les annonceurs qui obtiennent un niveau de retour sur investissement sur les plateformes numériques sans commune mesure avec ce que les medias traditionnels peuvent leur offrir.

D’ailleurs, l’ensemble du secteur de la technologie a connu un sort analogue à Facebook et Amazon, par contagion, alors que beaucoup d’entreprises ne présentent pas même la moindre analogie de modèle économique. Á condition d’analyser en profondeur la force des modèles économiques, aussi puissants que diversifiés, dans l’univers technologique, chaque correction de marché sur ce secteur est susceptible d’offrir des opportunités d’achat pour le long terme.

Pendant ce temps, le cycle avance

Aucun des indicateurs économiques publiés récemment, que ce soit les indicateurs PMI* en Europe comme aux États-Unis, ou les statistiques de confiance et de consommation, ne contredit pour l’instant notre anticipation que les investisseurs pourraient bientôt être déçus par une inflexion du rythme de la croissance économique. Aux États-Unis, la réforme fiscale accélère les plans de rachats d’actions (qui pourraient passer de 450 milliards de dollars en 2017 à 600 milliards de dollars cette année) et conforte les paiements de dividendes (le ratio de distribution atteint désormais 40% des résultats nets, un niveau qu’on n’avait pas connu depuis la fin des années 1990).

Le marché actions américain profite donc de forces de rappel qui demeurent puissantes. Mais l’économie réelle commence à décélérer, un mouvement que les tensions commerciales avec la Chine ne pourront que renforcer. Nous ne serions d’ailleurs pas surpris que l’économie américaine finisse l’année sur un rythme de croissance proche de seulement 2%, ce qui serait nettement en dessous du rythme de 2,8% attendus par le consensus. Cette déception, conjuguée à un durcissement général des conditions financières, par détérioration du marché du crédit et une politique monétaire moins accommodante, a commencé de déstabiliser les marchés actions, et perturber la courbe de taux d’intérêt. La faiblesse persistante du dollar et la dynamique propre de leurs économies soutiennent les marchés émergents, actions comme obligataires, mais n’offrent en revanche que peu de marges de manœuvre aux marchés européens.

Nous maintenons ainsi notre lecture de l’instabilité actuelle des marchés comme reflétant une phase de transition entre deux régimes radicalement différents. Une telle période de fragilité justifie une gestion des risques active, et l’exploitation des situations de surréaction pour acquérir, dans de bonnes conditions, les gagnants stratégiques du futur régime de marchés qui émergera dans quelques mois.

*PMI (Purchasing Managers Index) est un indicateur composite de l'activité manufacturière.

Source : Bloomberg, Carmignac, 30/03/2018

Stratégie d’investissement
Les actions

Un nouveau mois de baisse aura fait basculer la plupart des indices dans le rouge depuis le début de l’année. La baisse a été géographiquement relativement indifférenciée, témoignant d’un regain d’aversion pour le risque de la part des investisseurs. Nous avons sensiblement réduit notre exposition aux actions dans cet environnement en mettant en œuvre des stratégies de couverture et en cédant certaines positions : c’est notamment le cas des sociétés exposées au crédit à la consommation et vulnérables à une remontée des taux directeurs sans accélération de la croissance économique.

Au sein de notre portefeuille de valeurs technologiques, si certaines positions dans les valeurs de grande capitalisation américaines ont souffert au cours du mois, notre stratégie de diversification vers des sociétés de moindre taille comme GrubHub ou vers des valeurs émergentes comme Hikvision, nous a permis d’atténuer la correction enregistrée sur les sociétés technologiques. Leur profil de croissance bénéficiaire nous semble toujours parmi les plus attractifs, mais une sélectivité renforcée, notamment au regard des évolutions fiscales et réglementaires, reste de mise.

Les taux souverains ont connu un mouvement généralisé de détente, à de très rares exceptions près comme les taux turques. Les taux à 10 ans américains sont ainsi repassés en mars sous les 2,80% malgré une nouvelle hausse de ses taux directeurs par la Réserve fédérale au cours du mois.

Nous avions auparavant soldé nos positions vendeuses sur les obligations souveraines américaines et réduit celles-ci sur les obligations souveraines allemandes, ce qui nous a permis de capter ce mouvement favorable grâce à nos positions longues, tant sur les taux périphériques européens (Italie, Espagne, Portugal et Grèce) que sur les obligations souveraines émergentes (principalement en Amérique Latine).

La sélectivité de notre allocation sur les obligations privées nous a aussi permis d’absorber la poursuite du regain de tension observé sur les marges de crédit.

A l’inverse des autres classes d’actifs, le change n’a pas connu de regain prononcé de volatilité au cours du mois écoulé : les grandes monnaies des pays développés terminent ainsi le mois sur des variations modérées. L’euro a toutefois légèrement progressé face au dollar, ce qui a contribué positivement à notre stratégie de change en raison de l’absence d’exposition à la monnaie américaine. Les devises émergentes ont connu des fortunes plus contrastées, avec par exemple dans le même temps une forte progression du peso mexicain mais un affaiblissement du real brésilien.

Notre allocation diversifiée aux devises émergentes a permis de lisser cette volatilité. En cours de mois nous avons pris une partie de nos profits sur notre allocation au yen alors que l’environnement politique japonais plus incertain pourrait quelque peu atténuer l’attrait de la monnaie japonaise comme devise refuge.

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