La persistance de l’inflation en 2022 devrait accroître les incertitudes sur les taux d’intérêt et, par conséquent, entraîner d’importantes variations en Bourse. Cette volatilité sur les marchés financiers devrait néanmoins créer des opportunités pour les investisseurs, estime Frédéric Leroux, membre du comité d’investissement stratégique de Carmignac.
Frédéric Leroux: 2022 démarre sous le signe de l’inflation. Après tant d’années marquées par l’absence de hausse des prix, c’est un véritable changement, en particulier pour les banques centrales, ces autorités qui interviennent pour réguler l’activité économique en influant notamment sur les taux d’intérêt.
F.L.: Depuis plus de dix ans, l’atonie persistante de la croissance économique couplée à l’absence de dynamisme sur le front des prix permettait aux banques centrales de soutenir l’activité par des baisses de taux d’intérêt ou des achats d’actifs financiers. Elles irriguaient les marchés financiers d’argent, les fameuses injections de liquidités, à chaque mauvaise statistique économique. Elles ont surtout mis en œuvre des politiques qui répondaient aux attentes ou aux excès des investisseurs, sans autre contrainte que leurs propres besoins.
F.L.: Pendant des mois, le président de la banque centrale américaine – la Réserve fédérale (Fed) – nous a expliqué que l’inflation était « transitoire ». Il vient de changer radicalement d’avis sur la question dans un mouvement presque caricatural. Semblant découvrir bizarrement tardivement que l’inflation n’est pas temporaire, la Fed et la Banque centrale européenne (BCE) passent d’une position de déni à des annonces très fortes en matière de hausses de taux d’intérêt afin de lutter contre l’envolée des prix.
F.L.: Comme nous l’avions envisagé il y a plusieurs mois, c’est désormais l’inflation qui, après sa longue éclipse, « décide » de la politique des banques centrales. Elles n’ont plus d’autre choix que de se plier aux exigences de l’inflation car elles ont un mandat précis auquel elles ne peuvent durablement déroger. Dans ce mandat, la stabilité des prix occupe une place centrale ; transiger avec l’inflation, c’est se mettre hors la loi.
F.L.: Ce retour de l’inflation comme déterminant premier des politiques monétaires a deux conséquences principales. La première est une incertitude accrue des investisseurs à l’égard de l’évolution des taux d’intérêt et ses conséquences sur la volatilité des marchés financiers. La volte-face de la Fed et de la BCE n’est qu’un signe avant-coureur de l’imprévisibilité déstabilisante de l’inflation et de la difficulté à la juguler en suivant un processus continu, normé. La volatilité est de retour !
F.L.: Pour respecter leur mandat, les banques centrales pourraient être amenées à retirer les liquidités dont elles irriguent les Bourses mondiales depuis des années, ce que les économistes appellent un « resserrement quantitatif », alors même qu’un ralentissement se profile ou se développe. Selon toute vraisemblance, ce serait ce vers quoi l’on se dirige aux Etats-Unis aujourd’hui et, peut-être, en Europe demain.
F.L.: C’est un peu technique, mais parallèlement à ses relèvements de taux à court terme, nous pensons que la banque centrale américaine va aussi vouloir réduire rapidement la taille du portefeuille d’actifs financiers qu’elle a accumulés depuis plus de 10 ans afin de faire remonter les taux longs. La Fed cherchera ainsi à éviter ce que l’on appelle une « inversion de la courbe des taux » - quand les taux d’intérêt à court terme (de quelques mois à un an) sont plus élevés que les taux à long terme (plusieurs années).
F.L.: L’enjeu est de taille pour la Fed car elle a notamment besoin de refroidir le marché de l’immobilier, sensible aux taux à long terme, alors qu’il présente de nombreux signes de surchauffe aux Etats-Unis. Le marché de l’immobilier résidentiel y est devenu de plus en plus spéculatif, avec des prix soutenus par des investisseurs en recherche de rendement dans un environnement de taux très bas, au grand dam des personnes qui cherchent à se loger.
F.L.: Peut-être que le président de la Fed Jerome Powell a-t-il aussi considéré que ce cycle économique n’est pareil à nul autre ? Car avec les mesures prises pour aider les ménages et les entreprises à faire face à la crise de la Covid-19, ces derniers sont dans une situation financière favorable. En conséquence, les décisions des banques centrales pourraient prendre plus de temps avant d’avoir des effets sur les prix. Il faut toutefois garder à l’esprit que nos perspectives sur l’inflation américaine ne sont pas partagées par tout le monde.
F.L.: La majorité des analystes restent encore sceptiques quant au caractère durable de la hausse des prix aux Etats-Unis. La crainte de voir les prix baisser, qui a animé les marchés financiers au cours de la décennie passée, est encore très présente. Les économistes tablent en moyenne sur un retour de l’inflation vers 2,5 % dans les deux ans, ce qui est crédible. Nous pensons néanmoins que cette prévision n’intègre pas des facteurs potentiellement inflationnistes comme le prix de l’énergie, les relocalisations industrielles programmées ou une réduction du taux d’épargne pour cause démographique.
F.L.: Christine Lagarde, qui préside la BCE, a, elle aussi, changé radicalement de ton sur l’inflation, ouvrant ainsi la voie à une possible évolution dès cette année de la politique que la banque centrale européenne mène depuis des années. On peut d’ailleurs s’interroger sur la « Révélation » qui a entraîné sa fraîche conversion, car l’essentiel de l’inflation européenne a aujourd’hui une cause sur laquelle la BCE n’a aucune prise : les prix de l’énergie.
F.L.: La crainte de vindicatives négociations salariales à travers le Vieux Continent qui conduiront l’Europe vers la dynamique inflationniste américaine semble fondée. Méfions-nous de l’eau qui a dormi trop longtemps. Mais il convient de garder d’abord un œil attentif sur la situation américaine qui sera déterminante pour l’Europe.
F.L.: L’année qui commence promet assurément d’être volatile, passionnante et pleine d’opportunités. C’est l’une de ces années pleines de défis et de retournements, plus en phase avec la vocation qui est la nôtre chez Carmignac, celle d’un « gérant actif », c’est-à-dire d’un investisseur qui doit déceler et saisir des opportunités dans un marché qui n’évolue pas uniformément, et ne reste donc pas passivement investi.